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Vendredi 18 juillet 2008.

Malgré les ronflements, la nuit a été bonne et nous a permis de récupérer. L'étape d'aujourd'hui n'étant pas très longue et la météo n'ayant guère changé, nous prenons tout notre temps pour nous préparer.
Au petit déj, nous retrouvons nos compagnons de tablée, anglais et japonais. Non sans difficulté, nous apprenons que ces derniers vont prendre la même direction que nous jusqu'au Col des Montets.
Au sous-sol et autour des lavabos c'est la bousculade. Amusant de voir le ballet des japonais qui se brossent les dents tout en se promenant avec leur gobelet à la main. Ils ne sont que 6 mais leur incessant déplacement donne l'impression que tout Tokyo a investi le refuge du Lac Blanc.
A l'extérieur la pluie persiste, elle est tout de même moins forte qu'en fin de soirée. Nous décidons de nous équiper en conséquence. Capes de pluie mais aussi guêtres et nous voilà prêt à affronter les pires conditions climatiques. Nous quittons le refuge aux environs de 8 heures.

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Malgré la visibilité réduite, de la plate forme du refuge, nous pouvons apercevoir un premier petit lac situé à une altitude de 100 m en dessous du refuge. Les japonais ont été plus vifs que nous, ils sont déjà au bord du lac. Avec eux, nous serons les seuls à partir dans cette direction. Nous débutons la descente prudemment en empruntant un sentier avec de très nombreuses marches en rondins. Attention aux glissades, en particulier, en passant sur de larges dalles rocheuses. Le dénivelé est très important et lorsque nous arrivons au bord du lac, le refuge du Lac Blanc apparaît bien haut au dessus de nous.

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Le lac que nous longeons est le premier d'un groupe de 4 autres petits lacs. Ce sont les lacs de Chéserys ( 2133 m) que nous atteindrons après avoir descendu une grande barre rocheuse à l'aide d'une échelle. Berthe ne pourrait pas passer par là ! Il ne faut, en effet, pas avoir de trop grands pieds. Les barreaux sont trop rapprochés de la paroi et poser seulement le bout du pied sur un barreau humide rend l'opération délicate. En un mot, "on fait de l'huile" ce qui vous en conviendrez n'est pas fait pour faciliter l'adhérence.
De retour sur la terre ferme, le sentier longe les lacs, du moins nous le supposons, pour y être passé il y a 3 ans, mais aujourd'hui, le brouillard a décidé de nous priver de ce spectacle.
A hauteur d'un grand cairn, nous avons laissé sur notre droite le sentier classique du Tour du Mont Blanc qui descend dans la vallée en passant par l'Aiguillette d'Argentières. Ce sentier comporte de nombreux passages équipés d'échelles. Le sentier en balcon de la Remuaz que nous empruntons est beaucoup moins acrobatique. C'est le tracé du Tour du Pays du Mont Blanc. Le chemin serpente au milieu des rodhos. Malheureusement, la vue est toujours limitée par un brouillard assez épais et la pluie fine qui tombe par intermittence, nous oblige à de nombreux arrêts pour enlever ou remettre les capes.

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Le sentier remonte légèrement pour franchir une grande zone d'éboulis. Comme la veille nous sommes seuls, nous n'avons rencontré aucun randonneur depuis notre départ. Quelques mètres plus loin, nous ferons une petite pause photo près du lac de la Remuaz guère plus grand qu'une mare.

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Le sentier continue de descendre régulièrement, bordé, à gauche, par le Massif des Aiguilles Rouges. Une vue plus dégagée, toujours en direction du Nord, nous permet d'apercevoir, à nouveau, les randonneurs japonais. Eux aussi ont pris la variante du Tour du Pays du Mont Blanc. Ils sont arrêtés en bordure du chemin, 300 mètres devant nous. Nous ne tardons pas à comprendre les raisons de leur arrêt en remarquant sur notre gauche un bouquetin, puis un autre, tout près de nous. Un peu plus loin, c'est tout un troupeau qui broute sans se soucier de notre présence. En tout, nous en dénombrerons près d'une cinquantaine. Certains sont perchés sur les rochers. Un autre se dresse sur ses pattes arrière pour attraper les branches d'un sapin. Les cornes des mâles sont magnifiques. Ils sont tous à seulement 20 m du bord du chemin, peu farouches, ils laissent facilement approcher le randonneur sachant qu'en seulement quelques bonds, ils ont la possibilité de se mettre hors de portée en grimpant rapidement dans les rochers. Ils nous offrent un très beau spectacle gratuit et nous passerons de longues minutes à les observer.

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Observer les animaux n'est pas sans risque. Pour avoir oublier qu'il faut toujours regarder où on met les pieds, j'évite de très peu la chute. J'ai en effet posé mon pied dans un trou. Il s'en est suivi une jolie glissade sur une seule jambe. Je me suis rétabli d'extrême justesse en prenant appui sur mon bâton de marche, lequel a assez mal supporté cette violente poussée. Vexé, il a pris la forme d'un bâton de ski de descente. De longues minutes vont être nécessaire pour lui faire reprendre, avec précaution, son profil d'origine. Il n'a pas cassé, c'est une chance, mais heureusement qu'il était là sinon la cheville, elle, n'aurait peut être pas pliée !

Terminé la tranquillité matinale. Les premiers randonneurs montent de la vallée alors que nous quittons, à regret, le monde des bouquetins. Le dénivelé du sentier est maintenant beaucoup plus prononcé au fur et à mesure que nous descendons. Plus important aussi, est le nombre de randonneurs que nous croisons. Il y a vraiment tous les profils : Le pressé qui monte très rapidement sans prêter attention à tout ce qui l'entoure.
Le vicelard qui lui, au contraire, prend tout son temps, surtout si vous vous êtes arrêtés pour le laisser passer.
Le courtois qui vous gratifie de son plus joli sourire.
Le mal élevé qui ne répond même pas à votre bonjour ou qui tourne la tête de l'autre côté pour ne pas avoir à le faire.
Le sous entraîné, tout essoufflé et aussi rouge qu'un coquelicot qui se demande ce qu'il est venu faire ici. La maline, maquillée et parfumée, avec son petit pull sur les épaules, ses lunettes de soleil, son bronzage au top, et qui grimpe sans se soucier de son compagnon qui arrive 100 m derrière avec un sac à dos de plus de 25 kilos sur le dos.
Le flemmard, qui lui ne porte rien alors que madame porte tout, c'est plus rare, mais ça existe aussi et dans ce cas, c'est souvent le monsieur qui est à la traîne en jurant que dès demain il se remet au sport.
L'ado, assis au bord du chemin qui attend patiemment le reste de la famille, la tête entre les mains, en se disant qu'il serait beaucoup mieux au bord de la mer avec les copains et les copines. Le père de famille qui explique d'une manière très détaillée à son rejeton, la faune, la flore.... une vraie encyclopédie ambulante, tout cela, à haute voix pour que tout le monde puisse juger le niveau de sa culture.
La bavarde, toujours au sein d'un groupe, elle monte en faisant profiter tout l'entourage de la dernière petite histoire de famille.
L'inconsciente qui marche avec des chaussures à talons ou des nus pieds.
Le réchauffé qui monte torse nu pour faire admirer sa musculature.
La frileuse qui est emmitouflée des pieds jusqu'à la tête et qui transpire pourtant à grosses gouttes.
Le négligé qui dégage sur son passage une très forte odeur de transpiration.
La bourgeoise que l'on voit arriver de loin avec ses vêtements de grandes marques, ses bijoux scintillants, son brushing impeccable et qui laisse dans son sillage son numéro 5 de Chanel.
La solitaire qui marche en autonomie à son rythme mais d'un pas sûr et qui mérite le respect pour porter un sac à dos aussi volumineux.

Et nous dans tout çà, dans quelle catégorie sommes nous rangés ? En contre sens, face à ce courant montant, nous ressemblons à des saumons qui essaient désespérément d'atteindre le fond de la vallée. Tous les 10 mètres, nous devons nous arrêter au bord du sentier pour faciliter la montée de ceux que nous croisons. Nous saluons leur passage par un traditionnel "Bonne journée". En retour, entre deux souffles, nous avons droit au même salut ou à un petit signe de tête, mais il y a aussi des "buon giorno" ou même des "hello", "hallo", "hola" et des "ciao", signe que le Tour du Mont Blanc attire de nombreux étrangers.
Le sentier devient de plus en plus pentu et les lacets se multiplient au fur et à mesure de notre descente. Un bruit de fond nous indique que nous ne devons pas être très éloigné d'une route mais le brouillard nous empêche encore d'apercevoir celle-ci. En nous retournant et en levant la tête, surprise, le soleil a fait son apparition sur les sommets. Il doit maintenant faire beau au Lac Blanc. Le fond de la vallée va se dégager lui aussi, peu à peu, nous apportant ainsi confirmation que c'est bien une route que nous surplombons depuis un moment. Très fréquentée, elle vient de Chamonix et permet de passer en Suisse.
Alors que nos genoux commencent à crier grâce, le Col des Montets est enfin en vue avec, en bordure de route, le chalet de la réserve naturelle des Aiguilles Rouges.

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Après un très large lacet, nous longeons la route tout en la surplombant. Les derniers mètres jusqu'au chalet se font en empruntant un sentier botanique comprenant de très nombreuses variétés de plantes et d'arbustes.
Le col des Montets est situé à 1461 m d'altitude, soit un dénivelé négatif de près de 900 m depuis le lac Blanc. Le chalet d'accueil de la réserve naturelle des Aiguilles Rouges est donc le bienvenu pour effectuer une petite pause bien méritée. Les touristes y sont nombreux et il faut reconnaître que la visite mérite le détour avec une très belle exposition d'animaux empaillés. Ils sont tous morts de mort naturelle, c'est du moins ce qui est précisé. De nombreuses explications permettent de mieux connaître la faune et la flore alpine.
Nous retrouvons, au chalet, le groupe de japonais. C'est ici que se termine leur périple, un mini bus doit venir les récupérer. Curieusement, ils ne prêtent pas attention à nous. Peut être sont-ils déjà absorbés par le voyage du retour et la reprise du boulot. En tout cas, ils ne sont guère physionomistes. Il est vrai que c'est plus facile pour nous. 6 japonais se remarquent beaucoup plus facilement que 2 français parmi des centaines d'autres. Nous les voyons tous avec le même physique, c'est sans doute la même chose pour eux.
La pause terminée, nous traversons la route puis prenons à droite, plein sud en direction de Tré Le Champ. Pour nous, la descente continue sur la seconde partie du sentier botanique. Des écriteaux indiquent le nom des plantes mais faute de photo, il est très difficile de reconnaître les espèces au milieu de toute cette végétation. Tant pis, on va se contenter de lire les noms et de faire des suppositions. Un peu plus bas, un bipède, accroupi, semble s'intéresser de plus près à la botanique. Notre arrivée le surprend, il se lève d'un bond en remontant prestement son pantalon. Il y a des urgences qui ne peuvent pas attendre ... Notre homme fait comme si de rien n'était... nous aussi .....

Sur notre droite à flanc de montagne, de l'autre côté de la route que nous longeons, les marcheurs sont toujours aussi nombreux sur le sentier montant au Lac Blanc. Mieux vaut avoir réservé, il n'y aura pas de place pour tout le monde ce soir au refuge !
Nous descendons jusqu'à un grand parking situé en bordure de la route de Chamonix. Le sentier botanique se termine à cet endroit. C'est sans regret que nous nous écartons de cette route passagère pour tourner à gauche en direction de l'est puis du nord est, pour emprunter un petit sentier qui remonte dans la forêt. La pente est de suite très raide. C'est le sentier du TMB qui mène au Col des Posettes. Nous n'irons pas jusque là mais nous nous élevons tout de même très rapidement sous les sapins jusqu'à la côte de 1560 m. Nous dominons maintenant la vallée de Monroc dont nous devinons les maisons entre les arbres. Quelques mètres plus haut, nous laissons à gauche le sentier du Col des Posettes avec un certain soulagement compte tenu de son fort pourcentage. Cette montée sévère était un effort gratuit puisqu'après un léger replat dans le sous bois particulièrement vert à cet endroit, nous redescendons tout aussi rapidement pour retrouver notre niveau de départ. Par la route, c'était tout plat mais certainement beaucoup moins agréable...... C'est du moins ce que j'essaie d'expliquer à Jacqueline qui n'a pas apprécié cette montée inutile.
Toujours en forêt, le sentier surplombe la route qui conduit au village du Tour. Avant d'y arriver, un banc, au bord du chemin, semble avoir été installé spécialement pour nous. C'est l'heure de la pause repas, autant profiter de ce petit confort. N'exagérons rien, ce n'est pas le grand luxe, sous les arbres, l'humidité est encore présente et en y regardant de plus près, les vaches semblent aussi apprécier l'endroit si l'on en juge par les nombreuses traces qu'elles y ont laissées !!! Peu importe, la cape sous les fesses va nous protéger du banc humide et nous garderons les pieds levés. Le casse croûte ne peut plus attendre !
Nous avons pris l'habitude de commander des pique-nique dès notre arrivée dans les refuges. Ce n'est pas très économique mais cela évite de transporter la nourriture sur plusieurs jours. En général, les pique-nique sont suffisamment copieux et chaque responsable de refuge y ajoutant sa petite touche personnelle, le déballage du casse-croûte réserve souvent une petite surprise.
Trois quart d'heure de pause seront suffisants, les batteries rechargées, nous sortons de la forêt juste au dessus du village du Tour. (1453 m).

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Ce village est réputé par son enneigement record. 27 mètres en 1970 et en moyenne 12 à 15 m par an. A l'automne, les agriculteurs délimitent les parcelles à labourer à l'aide de grandes perches pour repérer les parcelles sous la neige. Au printemps, ils jettent du sable ou de la terre dessus pour faire fondre la neige plus rapidement et ainsi s'avancer dans leurs travaux.
Après avoir traversé le grand parking des télécabines de Charamillon, nous longeons la gare de départ non sans avoir une petite hésitation. Et.... si nous montions à Charamillon en télécabine ! L'hésitation est de courte durée, d'abord les télécabines n'acceptent sûrement pas les "saumons" que nous sommes et puis nous n'allons pas triché alors que c'est la dernière montée du jour.
En laissant les télécabines sur notre droite, nous prenons une large piste fortement pentue. Nous la quittons un peu plus loin pour prendre un petit sentier sur la droite. Ce sentier est commun avec les pistes de VTT, mieux vaut le savoir si vous ne voulez pas vous retrouver enfourché par un vététiste qui aura vite fait de vous faire redescendre dans la vallée. C'est ce qui a manqué nous arriver dès les premiers mètres. En principe, ceux qui descendent à fond la caisse, sont ceux qui sont montés en télécabine. Cascadeurs mais pas trop courageux dans les montées !
Quelques mètres plus loin, le sentier repasse sous les télécabines alors que la pente s'accentue de plus en plus.

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Le va et vient incessant des télécabines dont la plupart sont vides me fait m'interroger sur la rentabilité du système. Elles sont toutes numérotées ce qui me permet de les repérer et donc de mesurer le temps mis pour faire l'aller retour. Cela donne une idée de ce qui nous reste à parcourir. A les voir défiler au dessus de nos têtes, on se dit qu'il faut être maso pour monter à pied avec un sac à dos sur les épaules. Ce raisonnement simpliste est vite oublié lorsque que notre regard se pose sur le Glacier du Tour situé sur notre droite. Le panorama pourrait être encore plus grandiose si les nuages ne masquaient pas les plus hauts pics.
Le soleil est maintenant beaucoup plus présent mais il est accompagné d'un vent assez fort. Toujours sous les télécabines le sentier monte régulièrement et la pente est raide. Devant nous, nous apercevons maintenant la gare d'arrivée, c'est à la fois réconfortant et inquiétant. Le dénivelé est encore important. Un regard en arrière nous redonne du courage. Le village du Tour est maintenant beaucoup plus bas.

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Après un dernier effort, nous atteignons la plateforme d'arrivée des télécabines de Charamillon (1709 m). Nous sommes maintenant dans les alpages et le refuge est en vue.

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Pour y arriver une dernière montée nous attend mais la pente est beaucoup moins raide. Nous laissons, à gauche, le sentier menant au col de Balme et un peu plus loin, à droite, le sentier conduisant au refuge Albert 1er réputé pour être un point de départ des randonnées sur les glaciers. Une large boucle sur la droite offre une belle vue sur la vallée du Tour.

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Il est 14 h 30 et il ne nous reste plus que quelques mètres de plat pour atteindre le refuge de Charamillon. (1870 m). Plusieurs bâtiments sont alignés sur la droite. Tout à l'air désert. Le premier bâtiment semble être le dortoir, le second la salle à manger. A gauche de celle-ci, il y a une petite cuisine, c'est ici que nous faisons connaissance de Tahé, la gérante des lieux. L'accueil est très sympa. Avec nous est arrivé un monsieur plus âgé, nous l'avons rencontré à la sortie des télécabines. D'allure pépère, portant chapeau, nous avions pensé qu'il avait choisit la solution de facilité pour atteindre le refuge. L'apparence est trompeuse, notre homme termine, en solitaire, son Tour du Mont Blanc. Il est parti, ce matin, du Col de la Forclaz. Il ne lui reste plus que 3 étapes à faire. S'il a pris les télécabines, c'est pour descendre au village du Tour afin d'essayer de trouver une carte mémoire pour son appareil photo. Peine perdue, il a fait l'aller retour pour rien.
Nous ne serons que 3 au refuge ce soir et nous n'allons pas le regretter. Le dortoir est récent. Compartimenté en petits box de 3 couchages, ce doit être une ancienne grange rénovée. Notre box se nomme l'Apollon, ce qui est tout à fait logique !

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Un court instant j'ai pensé que ce pouvait être une délicate attention de notre hôte mais la photo d'un papillon bien connu des collectionneurs m'a vite remis la tête sur les épaules. C'est fou ce que la fatigue peut provoquer ...
Les sanitaires sont situés dans le dernier bâtiment, tout à fait à l'opposé. Tout n'est pas terminé mais c'est très vaste, bien agencé et d'une impeccable propreté.
La douche prise, nous nous retrouvons sur la terrasse pour un moment de détente bien mérité. L'endroit est agréable et joliment fleuri.

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Seule petite ombre au tableau, les larges baies vitrées, que nous avions pris pour des panneaux solaires, dénaturent un peu le paysage et ne sont surtout d'aucune utilité pour nous protéger du vent froid qui nous oblige à conserver nos polaires. Ces installations ont été mises en place pour protéger les touristes l'hiver sans tenir compte de l'avis des responsables qui savent mieux que quiconque dans quel sens souffle les vents prédominants. Preuve est faîte, que les technocrates sévissent même à 2000 m d'altitude !
Il n'est guère plus de 15 h et nous avons tout notre temps pour faire le bilan de cette journée. Une étape courte, 520 m de dénivelé, avec comme moment fort l'observation des bouquetins. Une très longue descente, assez pénible sur la fin. Une montée finale fortement pentue mais rendue plus agréable avec le retour du soleil.
Nous sommes à l'Alpage de René à la Jeanne ainsi se nomme le refuge. Cette dénomination nous surprend mais Tahé très gentiment va nous en donner toute l'explication. René est le fils de Jeanne. Leur patronyme étant assez répandu dans la région, il est d'usage d'associer le prénom du fils à celui de la mère pour identifier plus facilement les homonymes. Jeanne a 94 ans, elle a passé toute sa vie dans la ferme d'alpage. Elle a donc connu la vie très difficile d'autrefois avec les rigueurs de l'hiver, les travaux des champs sans le matériel d'aujourd'hui, l'isolement sans les remontées mécaniques ni même la piste d'accès. Aujourd'hui, malgré son âge, il lui arrive encore de monter au refuge pour y passer une journée ou deux. Elle respire la santé et en la voyant, en photo, on a vraiment envie de faire sa connaissance et de passer avec elle de nombreuses heures à écouter son histoire et celle de ses compatriotes du temps jadis.
Tahé nous explique que l'alpage a été partagé en deux parties entre René et Pierre dont la ferme d'alpage située sur l'autre versant, est visible depuis la terrasse du refuge. Tous les deux ont un troupeau de vaches et parmi celles-ci les Hérens, une race de vaches à l'aspect trapu, à la robe noire et aux cornes puissantes. La réputation de cette race est due au combat qu'elles se livrent entre-elles pour établir leur propre hiérarchie. La gagnante est alors proclamée Reine et devient la chef du troupeau. C'est elle qui dirige le troupeau vers les coins d'alpage ou l'herbe est la plus tendre. Les autres la suive et ne conteste plus son autorité. Les batailles, tête contre tête, sont rudes allant parfois jusqu'à l'épuisement. Les Hérens s'abiment souvent le cuir épais qui protège leur crane mais elles se font rarement mal. Tahé nous explique aussi qu'une Reine déchue, après un nouveau combat, peut se laisser mourir de faim et nous cite même le cas d'une vache dont la robe noire est devenue blanche. Les éleveurs ont, peu à peu, exploité le comportement naturel de leurs bêtes. Des combats officiels sont maintenant organisés, au printemps et à l'automne dans les villages des environs d'Argentière, des Contamines, des Houches, de Servoz et de Samoëns mais également de l'autre côté de la frontière en Suisse et en Italie.
René et Pierre y participent mais pour cela, ils doivent veiller à ce que leur troupeau respectif ne se rencontre pas dans l'alpage. En effet, si un combat a déjà eu lieu dans l'alpage, la vache vaincue refusera le combat le jour de la fête. Pour les alpagistes, ces rencontres sont importantes. La vache gagnante est nommée Reine des Reines, elle reçoit une énorme cloche avec un magnifique collier de cuir sculpté qu'elle portera définitivement. Ces cloches qui font la fierté des éleveurs sont très prisées des collectionneurs, de ce fait leur prix est relativement élevé. Compte tenu de cela, il y a parfois des vols au sein même des troupeaux, dans l'alpage et même dans les étables.
Outre ces larcins, il arrive aussi parfois qu'une vache perde elle même sa cloche dans l'alpage. C'est la mésaventure qu'a connu René. C'était une de ces plus belles pièces et René a passé des jours et des jours a recherché l'objet perdu. Démoralisé il a abandonné les recherches. Mais un matin remontant de la vallée une belle surprise l'attendait. La cloche se trouvait sur la table de la cuisine du refuge. Elle avait été déposé par un promeneur qui l'avait trouvé tout à fait par hasard. René en pleurait de joie.
Mais, en dehors de l'aspect sentimental, les cloches ont aussi leur utilité. Toutes ont un son différent ce qui permet à l'éleveur de reconnaître leur bête et surtout de les retrouver dans le brouillard. Et puis, plus surprenant, il est arrivé qu'une vache ayant perdu sa cloche soit chassée du troupeau par ses congénères qui ne la reconnaisse plus.
Il n'y a pas que les cloches qui sont dérobées en montagne. Des bêtes aussi disparaissent. Ainsi, Tahé nous raconte l'histoire d'une jeune bergère qui, il y a quelques années, avait la charge de plusieurs centaines de moutons. Ces derniers, comme cela se pratique de nos jours, venaient du sud de la France, amenés là par camion pour y passer tout l'été. Un matin, la bergère constate la disparition de plusieurs dizaines de moutons, d'un âne mais aussi de deux de ses chiens. Ce n'est que quelques jours plus tard qu'elle a été avisée que ses chiens et son âne avait été retrouvés en Suisse mais aucune trace des moutons. Les chiens n'avaient pas suivis les moutons sans être commandés par des gens peu scrupuleux. Tragique épilogue, de retour dans les alpages, l'âne malheureusement a eu une triste fin. Il s'est tué en chutant du haut d'une grande barre rocheuse.
Nous n'avons pas vu passer le reste de l'après-midi en écoutant Tahé et ses histoires. Seul le vent de plus en plus froid a interrompu ce bon moment et nous a poussé vers la salle à manger où nous avons longuement feuilleté le grand album de photos qui fait ressortir l'ambiance du refuge que ce soit en période hivernale ou estivale. Les rassemblements festifs y sont nombreux. Amis et membre de la famille s'y retrouvent régulièrement.

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Alors que nous feuilletons l'album photo, et diverses revues une bonne odeur de tarte s'est répandue dans la salle à manger. Tahé est à ses fourneaux et nous en salivons déjà. Nous ne serons pas déçu. Nous passons à table en compagnie de notre ami randonneur solitaire. Nous n'avons pas osé le questionner sur son lieu de résidence, ni même sa profession. Son accent nous fait penser qu'il habite la Belgique. Il est sans doute retraité mais son calme, son esprit de curiosité, sa joie de vivre, sa discrétion et surtout sa grande courtoisie nous font croire que c'est peut-être un homme d'église. En tout cas, nous ne le voyons pas tenir un sex-shop.
Le repas est à l'image de tout le reste. Excellent potage avec du fromage, pâtes à la carbonara avec des champignons et pour finir une succulente tarte aux myrtilles encore toute chaude. Tahé nous rejoindra pour partager celle-ci avec nous et continuer de nous faire découvrir son amour de la montagne.
Nous avons vraiment apprécié le calme de cette soirée, quel contraste avec le refuge du Lac Blanc. Cela n'enchante guère notre ami randonneur solitaire qui va y séjourner demain soir. La veille, il a couché au Col de la Forclaz et il était le seul occupant. C'est donc pour lui sa deuxième soirée de calme. Il nous inquiète un peu lorsqu'il nous annonce que le patron de l'hôtel de la Forclaz est parti aujourd'hui pour 3 jours. Passionné de course à pied, il s'entraîne pour le Trail du Tour du Mont Blanc. Pourvu qu'il n'ait pas fermé l'hôtel, nous devons nous aussi y couché demain soir !
Il est 21 h 30 lorsque nous regagnons le dortoir en jetant un dernier regard sur la vallée du Tour avec, en arrière plan, les Aiguilles Rouges et, en face de nous, l'alpage de Pierre et la montagne de Posettes.

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Tahé, elle, s'est habillée plus chaudement et alors que la nuit tombe, elle part effectuer sa petite marche quotidienne dans l'alpage.

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